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Biocarburants : l'arbre qui gâche la forêt. LIBERATION
Par Sylvie BRIET
Mardi 20 Mars 2007.
Un rapport de la FAO, publié la semaine dernière, note qu'entre
1990 et 2005 le monde a perdu 3 % de son couvert forestier. La
situation reste mauvaise, selon l'organisme international qui
reconnaît néanmoins quelques efforts de gestion de pays comme la
Chine ou l'Inde. Un nouveau conflit vient cependant d'éclater en
Finlande entre écologistes (dont Greenpeace) et compagnies
forestières sur l'exploitation des forêts anciennes en Laponie. Ce
désaccord montre que peu de régions sont épargnées par la
déforestation. C'est ce que révèle dans son livre (1) Emmanuelle
Grundmann, primatologue et auteure d'une thèse sur la
réhabilitation et la réintroduction des orangs-outans : elle
décortique l'histoire des déforestations et en analyse les
conséquences.
Qu'est-ce qui vous a amené à passer de l'étude des
grands singes à celle des forêts ?
Les grands singes vivent dans des forêts qui rétrécissent. Un
jour à Bornéo, après avoir participé à un relâcher d'orangs-outans
dans la nature, nous sommes repartis en hélicoptère. Au début,
c'était une forêt superbe, creusée petit à petit par d'énormes
plaies des pistes pour le débardage du bois ou des grumes. Puis la
forêt primaire laissait la place à d'immenses étendues monotones de
palmiers à huile.
Les orangs-outans que l'on récupère sont issus du trafic parce
qu'ils perdent leur habitat : ils se retrouvent près des routes ou
des villages, viennent se nourrir dans les plantations et se font
capturer. Tout est lié. La destruction des forêts est une menace
pour les populations qui y vivent et pour la biodiversité. En
Indonésie, les gens qui travaillent dans les plantations ou les
exploitations forestières sont sous-payés ou payés en sacs de
riz... Tout ça pour que l'on ait dans les supermarchés du bois
exotique pas cher, des tables en tek à bas prix...
Où la situation est-elle la plus tendue ?
Il y a un siècle, les forêts couvraient 12 % à 16 % des terres
immergées, aujourd'hui c'est 5 %. Tous les ans, 7,3 millions
d'hectares disparaissent, c'est-à-dire la surface du Panamá. La
forêt la plus malmenée, la plus en danger, c'est celle d'Asie du
Sud-Est. L'Indonésie a perdu 80 % de sa couverture végétale. La
déforestation y a vraiment commencé avec l'arrivée de Suharto au
pouvoir, en 1966. Il a bradé la forêt et a mis en place un système
de barons du bois avec une corruption hallucinante. Les essences
intéressantes ont quasi disparu en dehors des parcs nationaux, sauf
qu'aujourd'hui elles sont exploitées même dans ces parcs. C'est une
logique de profit à court terme : le bois est confisqué par les
autorités, les barons du bois le rachètent et le remettent sur le
marché comme étant du bois provenant de forêt d'exploitation donc
légal. Depuis peu, ils s'attaquent à la Papouasie-Nouvelle-Guinée
qui possédait une des dernières forêts intactes et ils ont passé
des contrats avec la Chine. Ça arrange le pouvoir de Jakarta qui
aimerait se débarrasser des mouvements indépendantistes papous.
Par quoi remplacent-ils les forêts ?
Par de grandes plantations. L'Indonésie par exemple s'est
spécialisée dans l'huile de palme qui est utilisée partout : les
cosmétiques, les détergents, les plats surgelés, le chocolat, les
shampoings... Les ONG qui travaillent là-dessus sont inquiètes car
on parle énormément des biocarburants (qu'il faudrait plutôt
appeler agrocarburants car ils n'ont rien de bio), mais personne ne
voit qu'on ne va pas se contenter des produits de l'agriculture
fançaise en biocarburants. On ira se fournir en huile de palme car
le coût de production sera très peu élevé : la Malaisie et
l'Indonésie sont dans les starting-blocks et n'attendent que ça.
L'Indonésie, qui veut devenir le premier producteur devant la
Malaisie, produisait déjà plus de 2 millions d'hectares de palmiers
à huile, elle a voté un plan quinquennal pour convertir 7 millions
d'hectares supplémentaires et près de 16 millions sont aujourd'hui
programmés. L'objectif au niveau mondial est de passer de 22
millions de tonnes à 40 millions avec tout ce que cela implique :
dans le meilleur des cas, on rase mais souvent on met le feu. En
1997-1998, en Indonésie, d'énormes feux ont détruit de grandes
parties de la forêt : on a d'abord accusé El Niño, on sait que
c'est faux : 60 % à 75 % avaient été allumés par des propriétaires
de plantations d'huile de palme pour agrandir leur palmeraie.
Les pays européens peuvent-ils agir contre la
déforestation illégale ?
D'après un rapport du WWF, l'an dernier, 39 % du bois exotique
vendu en France était d'origine illégale. On le voit à certaines
essences dont on sait qu'elles ne peuvent provenir que de certains
parcs. Le merbau, exploité par les Chinois en Papouasie, est vendu
à très bas prix alors que c'est une espèce menacée. En Chine, une
ville entière s'est construite autour de la transformation du
merbau en parquet qui est donc revendu comme un produit transformé.
L'an dernier, une campagne de pub dans le métro à Paris vantait les
mérites du parquet en merbau. Mais il y a de plus en plus de
campagnes contre l'utilisation de ces essences et le bois illégal.
Leroy Merlin ou Carrefour ont stoppé la vente de parquets et
meubles en teck, d'autres essaient de faire venir le bois de forêts
certifiées. C'est logique commerciale contre logique durable.
Dans certains endroits heureusement, les essences sont
exploitées de manière sélective. Il existe une forêt de labels mais
aujourd'hui un seul, la certification Forest Stewardship Council
(FSC) apporte des garanties environnementales et sociales. Il est
possible d'exploiter la forêt de manière durable.
(1)
Ces forêts qu'on assassine, éd. Calmann-Lévy.
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